Dans cette première lettre d’information nous avons décidé de poser les trois mêmes questions à quelques personnes et structures impliquées dans le réseau TRAC, afin de mieux nous faire connaître, et d’exposer les grandes idées qui guident notre action. Nous retranscrivons ici leurs réponses aux trois questions :
- En quoi le rencontre entre le travail et la culture est un enjeu ?
- Dans quelles dynamiques l’art, la culture et les mondes du travail peuvent s’engager ?
- Pourquoi votre structure s’engage-t-elle dans cette initiative ?
Lise Bouveret, membre de la CGT en Auvergne-Rhône-Alpes
« Dans un contexte de marchandisation accrue et d’individualisation de l’accès aux œuvres artistiques et culturelles, la lutte pour une société solidaire, démocratique s’inscrit nécessairement dans une dimension collective que les actions culturelles peuvent porter. La rencontre entre des salariés et des artistes est vecteur de la prise de conscience de l’aliénation et des voies de transformation en développant la curiosité et un regard critique sur le monde.
Je me méfie d’une vision d’une culture apportée aux travailleurs, de ce qu’on appelle la démocratisation culturelle. Parce que le travail est porteur de culture, même dans des conditions difficiles, une rencontre féconde entre la culture et le travail ne peut se construire qu’en terme de réciprocité, d’échange. Elle donne à voir qu’une œuvre est le résultat d’un travail et que l’activité professionnelle met en jeu la créativité de l’individu.
La CGT a construit de longue date un compagnonnage avec le monde de la culture, avec les artistes et les œuvres culturelles. Ces relations ont été particulièrement soutenues dans le cadre des actions des comités d’entreprises. La désindustrialisation, les restructurations d’entreprises, la désyndicalisation ont mis à mal le réseau des comités d’entreprise avant que les réformes du droit du travail transforment le cadre réglementaire des activités culturelles des CSE. En même temps le consumérisme et l’individualisme ont imprégné la société.
Pour autant la résistance reste à l’ordre du jour et si le cadre évolue, des aspirations à un renouveau démocratique existent que le collectif peut faire vivre. »
Sylvie Moreau, attachée aux relations avec le public, TNP-Théâtre National Populaire
« Les bouleversements du monde du travail (restructurations féroces, coupes budgétaires, réformes…), impactant notamment les comités d’entreprises, me donnent du fil à retordre mais ne font qu’asseoir ma conviction que la présence de la culture dans la vie des travailleur-se-s est plus que jamais vitale.
Tout ne peut se réduire à la notion de divertissement ou de consommation frénétique et béate, qui ont le mérite d’exister, mais éloignent du loisir au sens du scholè : celui qui permet de prendre de la hauteur face aux injonctions massives qui remplissent tous les interstices. Outre le plaisir du temps de la représentation, le théâtre autorise une rupture et nourrit l’esprit critique essentiel à l’humain, qui renoue ainsi avec un loisir choisi et actif. En retour, les artistes pourraient davantage boire dans la coupe du monde du travail : s’abreuver d’un fond sonore propre à une zone de production ; décortiquer cette langue managériale, si singulière qu’elle en devient torve et inintelligible ; déposer sur leur palette chromatique les reflets de différents matériaux ; collecter les paroles… Bref, prendre le temps et faire naître une œuvre de cette source encore si peu explorée.
Quand bien des théâtres ont abandonné des relations trop difficiles avec le monde du travail, le TNP renforce cette proximité avec les travailleur-se-s d’aujourd’hui et propose à ses artistes associés de se nourrir de cette culture du travail. »
Michel Szempruch, Association Le Fil Rouge
« Si nous œuvrons pour une société démocratique et auto émancipée, la culture au sens de ce qui fait société, donc la démocratie, ne doit pas s’arrêter à la porte de l’entreprise. L’activité culturelle (savoirs, esprit critique, créativité personnelle, projets collectifs, etc…) est essentielle pour s’émanciper de la « culture d’entreprise », du néo management, de la subordination salariale, de l’atomisation du collectif. Il faut dire aussi que le travail, comme activité humaine collective de production et de transformation est culture et fait culture, doit être reconnu comme tel.
L’art et l’activité culturelle au sens large, apportent beaucoup aux personnes dans leur construction personnelle, leur épanouissement intellectuel, l’ouverture aux idées et aux émotions nouvelles. Ils nourrissent l’intelligence des travailleurs dans leurs activités professionnelles, leurs prises de décision. Elle est également un facteur d’expression et de lien social fort quand les personnes pratiquent elles-mêmes une activité artistique. Aller au spectacle ou faire de la musique avec d’autres est structurant du lien social, des aventures collectives.
L’association Le Fil Rouge s’implique depuis des années dans des projets documentaires notamment sur le Travail, avec des musées, des partenaires culturels, des CE et syndicats. Nous avons réalisé de nombreux films dont « Les maux du travail » sur la santé au travail et le néo management, mais aussi « CE, Histoires, mémoires, enjeux des CE en Rhône-Alpes », ou des vidéos pour le Musée Dauphinois sur les papetiers par exemple.
Nous nous impliquons dans le projet pour résister avec d’autres, au délitement consumériste des politiques culturelles et impulser des initiatives communes. »
Olivier Perriraz, metteur en scène et membre de L’épicerie Culturelle
« Le travail est souvent exercé dans une communauté de travail que l’on nomme entreprise. C’est là que des individus vont choisir, prendre ou accepter de représenter les autres, par le biais de CSE, afin de leur proposer des voyages, des spectacles, des expositions, des films ou des concerts. Le choix ne sera jamais anodin et reposera souvent par une perception personnelle des choses. Dans le pire des cas, c’est en utilisant la marchandisation des loisirs que vont être confrontés les élus pour faire leur choix. Si cette approche est anticipée, les élus en charge de cette responsabilité pourront adosser leurs propositions à une pensée, une philosophie dans laquelle le recours aux arts permet un esprit critique plus concernée par les enjeux de la société.
Pourquoi travailler ? Simplement pour un salaire et assouvir sa faim ? Le recours aux arts permet à un individu de répondre par l’esprit critique à ces quelques questions fondamentales de son existence. La communauté de travail n’est pas un lieu déconnecté des grandes questions qui traversent l’époque et la société dans laquelle les citoyens vivent ensemble. Cet enjeu est vital et ne peut pas être négligé.
Pour donner à voir et à entendre. L’épicerie culturelle est une compagnie de théâtre qui tente de diffuser la culture dans tous les endroits où elle est absente. Son conseil d’administration est constitué de syndicalistes et d’artistes qui réfléchissent ensemble à la création de moyens qui permettent de répondre à ce but d’éducation populaire. »